1875-1893 : Enfance d’Albert Schweitzer à Gunsbach et Mulhouse
Juillet 1875 : La famille Schweitzer s’installe à Gunsbach : les parents Louis et Adèle, et Louise et Albert. Puis quatre autres enfants viendront égayer la maisonnée : Adèle, Marguerite, Emma et Paul.
Dans son enfance, Albert Schweitzer retient chaque évènement comme une leçon de vie : « Ma jeunesse fut particulièrement heureuse. […] Je me sentais écrasé sous le poids de ce bonheur, et je me demandais si j’avais le droit d’accepter ce don comme tout naturel. » (Souvenirs de mon enfance)
Enfant précoce et discret, il est en décalage avec ses proches. Sa sensibilité lui ouvre un regard inhabituel pour un enfant de son âge. La nature est son univers, et elle le restera toute sa vie. On retrouvera souvent, bien plus tard, la description poétique qu’il en fait dans ses écrits et ses correspondances.
Il se dit passionné, respectueux des autres, paresseux, rêveur, réfléchi, sensible. Il dit avoir hérité de sa mère sa timidité et son caractère renfermé. Sa vivacité d’humeur, il la doit à son père.
A 5 ans, au vieux presbytère, tous les dimanches, je mettais un sous dans ma tirelire pour les missions. C’était un de mes premiers souvenirs d’enfance. C’était un moment très solennel.
Souvenirs de mon enfance
Cette anecdote, tout comme, quelques années plus tard, ses escapades au parc du Champ de Mars à Colmar, auprès du monument Bruat, de Bartholdi, annonçaient déjà sa vocation africaine.
Eleve silencieux et rêveur
Son bulletin scolaire à l’école de Gunsbach, de 5 à 9 ans, porte la mention : « Elève silencieux et rêveur. Aurait appris à lire et à écrire sans entrain. »
A 7 ans : « Se révèle capable d’exécuter sur l’harmonium des cantiques avec accompagnement de son cru. »
A l’âge de 9 ans, le père Iltis, son instituteur et organiste à l’église de Gunsbach note : « Capable de me remplacer à l’orgue pendant le culte ! »
Albert, fils du pasteur, enfant de notable, « un petit bourgeois », ou « petit monsieur » comme il l’a écrit. Tout un univers bien différent de celui de ses copains ; une idée qu’il repoussa de tout son être : « A l’école déjà, je m’étais senti troublé en découvrant le triste milieu familial de certains de mes camarades et en le comparant à la vie quasiment idéale de notre foyer de Gunsbach. » (Souvenirs de mon enfance) Albert Schweitzer, non sans douleur, voulait ressembler à ses copains : sabots en semaine, mais chaussures le dimanche, casquette comme celle des garçons du village, et surtout : pas de manteau, les copains n’en avaient pas.
« A l’âge de neuf ans, on me mit à l’école supérieure de Munster de sorte que matin et soir j’avais à parcourir un trajet de trois kilomètres au pied de la montagne. » (Souvenirs de mon enfance). Ce trajet, chaque jour, par tous les temps, sont pour lui : « une jouissance immense de se trouver dans cette nature ». A l’école supérieure de Munster, on dit de lui qu’il est « un élève timide, réservé, qui aime la solitude ». Mais dès cet âge, il s’intéresse déjà à la politique et aux évènements contemporains.
Lorsqu’on décida, en 1885, de me mettre au lycée de Mulhouse, en Haute Alsace, je versai des heures durant, des larmes secrètes. Il me semblait qu’on me séparait de la nature.
Souvenirs de mon enfance
L’oncle Louis et la tante Sophie
Il se trouve alors chez l’oncle Louis et la tante Sophie, un vieux couple sans enfants chez qui était également hébergé Mademoiselle Anna Schaeffer la fille du pasteur de Munster, institutrice à l’Ecole Supérieure des jeunes filles qui, au dire d’Albert Schweitzer, collabora à son éducation. L’oncle Louis était directeur des écoles primaires de Mulhouse et la tante Sophie institutrice : « Dans la maison de mon oncle, ma vie était réglée jusque dans les moindres détails. Après le repas de midi, je devais faire des exercices de piano jusqu’au départ pour le lycée ; le soir, mes devoirs terminés, je me remettais au piano. « Tu ne sais pas si, un jour, la musique ne te sera pas très utile » me répétait ma tante toutes les fois qu’elle me ramenait presque de force, à mon instrument. » (Souvenirs de mon enfance)
Autant, le jeune Albert qui entrait dans le bureau de son père disait : « l’odeur des livres qui l’emplissait me coupait la respiration », c’est dans cette nouvelle famille qu’il prit goût à la lecture et à « dévorer les livres » : « Je ne puis me résoudre à quitter un livre commencé ; je préfère passer la nuit à le lire, ou du moins à le parcourir jusqu’à la fin. Si le livre me plaît, je le relis deux ou trois fois. » (Souvenirs de mon enfance).
Les premières années à Mulhouse s’avèrent difficiles.
En 1887, Albert a 12 ans. Elève considéré comme étant trop rêveur, on envisage même l’abandon de ses études. Son refuge dans ses rêves était bien plus de la tristesse. Mais la tante Sophie attentive, l’a bien perçu et prend soins de ce petit déraciné.
Au début de mon séjour à Mulhouse, je souffrais beaucoup d’être séparé de la nature. Un jour ensoleillé de mars, à la fonte des neiges, j’étais assis après goûter à la table où je faisais d’ordinaire mes devoirs tandis que mes regards nostalgiques erraient au loin. […] Les premières années de mon séjour à Mulhouse, j’eus une intense nostalgie de l’église de Gunsbach ! C’était une douloureuse privation de ne plus entendre les sermons de mon père, de ne plus me sentir dans l’atmosphère de ce culte simple auquel j’étais habitué depuis mon enfance. Les sermons de mon père faisaient sur moi une impression profonde. Je voyais combien il y mettait des évènements de la vie ; je me rendais compte combien il lui fallait d’efforts, de combats même pour livrer chaque dimanche à son auditoire son être intime. Je me souviens très nettement de tels de ses sermons que j’ai entendu comme gamin.
Souvenirs de mon enfance
Elève vivement intéressé par l’histoire
Au lycée, l’arrivée d’un nouveau maître, M. Wehmann, bouleverse la vie du jeune Albert, qui à son contact, se réveille et sort de ses rêves. Preuve en est, son livret scolaire mentionne « Elève vivement intéressé par l’histoire. » En sciences naturelles : « Esprit pénétrant qui ne se contente pas de descriptions des phénomènes naturels, mais qui, plus profondément, cherche s’il existe une véritable explication aux problèmes de la vie sous ses différents aspects. ». Mais surtout en littérature: « L’élève se montre rebelle aux explications données par le professeur, explications qu’il considère comme bavardage qui détruit l’émotion suscitée par l’œuvre du poète. » (Robert Delahaye, Principal du Lycée de Munster, Annuaire Société d’Histoire de Munster 1965) On découvre déjà là son souci de l’essentiel qu’il appliqua sa vie durant, autant en théologie qu’en médecine.
Vers l’âge de 14 ans, Albert Schweitzer suivit des leçons de piano et d’orgue avec Eugène Munch. A 16 ans, Albert remplaça Eugène Munch lors du culte. A 17 ans, à Mulhouse, premier concert public : Requiem de Brahms.
En 1893, Albert est admis au baccalauréat avec une note et une appréciation élogieuses en histoire. Ce qui confirmait son intérêt pour l’histoire et annonçait déjà l’orientation qu’il donnera dans son abord de la théologie.
L’oncle Louis, la tante Sophie, M. Wehmann, Eugène Munch et bien d’autres, cités dans ses Souvenirs d’enfance, ont contribué à donner à Albert sa vision optimiste de l’avenir : « Ne doutant de rien, je résolus de mener de front la théologie, la philosophie et la musique. » (Souvenirs de mon enfance) Une autre vie allait commencer.
Alain SCHUMACHER