Chronologie

L’Appel

Un matin, à l’automne de 1904, je trouvai sur mon bureau, au Séminaire Saint-Thomas, une de ces brochures vertes où la Société des Missions évangéliques de Paris rendait compte chaque mois de son activité. […] Mon regard tomba sur un article intitulé : Les besoins de la Mission du Congo. Il était signé d’Alfred Boegner, un Alsacien qui dirigeait la Société des Missions à Paris ; il y déplorait que la Mission manquât de personnel pour poursuivre son œuvre au Gabon, au nord du Congo. L’article exprimait l’espoir que cet appel déciderait « ceux sur qui se pose déjà le regard du Maître » à s’offrir pour cette tâche urgente. Il se terminait ainsi : « C’est de tels hommes qui répondent simplement sur un signe du Maître : Seigneur, me voici, que l’Eglise a besoin. 

Ma vie et ma pensée

Besoins de la Mission du Congo

Dieu vient de rappeler à Lui un modeste et fidèle servi­teur de notre œuvre. Henry Chapuis, artisan-mission­naire au Congo, nous a été repris le 6 mai dernier, à Genève.

Il était né le 20 avril 1876 et avait appris le métier de serrurier. Placé de bonne heure sous l’influence et dans l’atmosphère vivifiante de l’œuvre de l’Étoile, membre de l’Église libre, ami d’Ivan Mercier, il s’était offert d’abord en 1897, puis en février 1901, pour l’œuvre des Missions. Cette même année, en octobre, il fut accepté ; dans les mois qui suivirent il compléta sa préparation par divers apprentissages. Sa destination fut incertaine pendant quelque temps. Il avait lui-même pensé au Zambèze, et, pendant quelque temps à Madagascar ; en dernier lieu ce fut au Congo que ses services furent attri­bués. Il s’embarqua le 15 décembre 1901, à Bordeaux et depuis lors il rendit à la mission les plus fidèles et les plus dévoués services.

Dans toutes les stations où il fut employé, son travail et son caractère furent hautement appréciés par nos missionnaires. En dernier lieu, son activité fut consacrée à la station de Talagouga. C’est là qu’il ressentit les atteintes de la fièvre et que, dès les premiers mois de cette année, la nécessité d’un rapatriement s’imposa à lui.

Sa femme qui, au début, avait été retenue à Genève par un enfant nouveau-né, l’avait rejoint au bout de quelques mois. Elle ne put partager sa vie de missionnaire que pendant un temps assez court ; dans le commencement de 1903, elle avait dû rentrer en Europe, un an avant son mari.

Celui-ci était arrivé à Genève fin mars dernier, et tout permettait d’espérer un complet rétablissement ; dans une soirée offerte par le Comité auxiliaire de Genève, à l’occasion du passage de M. Élisée Escande, M. Chaponnière complimenta M. Chapuis sur le retour de ses forces, et notre ami n’y contredit point. Malheu­reusement ce rétablissement n’était pas complet, loin de là. Le 3 mai dernier, Henry Chapuis ouvrit les caisses de curiosités qu’il avait rapportées du Congo. Le même jour il éprouva un grand malaise ; bientôt les symptômes de la fièvre hématurique se déclarèrent : les médecins appelés essayèrent en vain d’enrayer le mal. Le vendredi 6 notre ami rendait le dernier soupir. Il avait auprès de lui sa jeune femme et ses deux enfants. Le surlendemain dimanche, les amis des Missions de Genève rendaient à notre frère les derniers devoirs et M. Chaponnière exprimait, au nom de notre Comité, les regrets de toute la Société des Missions.

Nous sommes certains d’exprimer le sentiment de tous en assurant madame Chapuis de la sympathie profonde et affectueuse qu’éprouvent pour elle et ses enfants dans le deuil, tous les amis des Missions.

Cette sympathie va aussi à la mission du Congo, si douloureusement éprouvée par la mort de notre ami. Elle se produit à un moment où l’œuvre se trouve singu­lièrement affaiblie. Une attaque de fièvre bilieuse vient de forcer madame Couve, peu après la naissance d’un second enfant, à prendre le chemin de l’Europe, accom­pagnée de son mari et de mademoiselle Galley. Les voyageurs sont arrivés lundi dernier, 23 mai, à Bordeaux. La traversée a rendu des forces à madame Couve, actuel­lement convalescente. Mais quelle douleur pour nos amis, en revoyant la terre de France, d’y être accueillis par la nouvelle de la mort de leur humble et vaillant collaborateur M. Chapuis ! Une dépêche et une lettre reçues hier et ce matin expriment toute cette douleur et toute l’anxiété que nos amis du Congo ressentent pour leur œuvre, si profondément atteinte et que les départs déjà accomplis ou sur le point de s’effectuer vont encore affaiblir.

MM. Rambaud et Hermann, chargés actuellement du poste de Sam-Kita, sont en effet arrivés au terme de leur période triennale et la prudence ordonne de les rapatrier sans retard. Enfin, M. Allégret, qui s’était offert à repartir immédiatement, se voit retenu en Europe par le verdict des docteurs.

Que faire dans ces circonstances ? M. Faure, en congé depuis près d’un an, s’est mis à la disposition du Comité, mais des circonstances personnelles le retiendront jus­qu’au mois de septembre. Il ne pourra arriver à son poste qu’au commencement d’octobre. Une lettre arrivée il y a deux jours du Lessouto, annonce, d’autre part, que M. René Ellenberger a retrouvé en grande partie ses forces et se dispose à retourner au Congo. Il compte repartir en août et arrivera, lui aussi, sur les bords de l’Ogooué en octobre.

Enfin mademoiselle Reboul, institutrice-missionnaire, et madame Lantz, qui n’avait jamais renoncé à servir activement la mission, et qui vient de compléter sa pré­paration par un apprentissage médical, se tiennent prêtes à partir elles aussi.

Comme élément nouveau à incorporer à la mission du Congo, nous ne disposons actuellement que d’un seul homme, M. Bonnet, artisan-missionnaire, dont les services viennent d’être agréés, et qui pourra être ex­pédié au Congo, avec sa jeune femme, à la première occasion.

Chacun comprendra que c’est là un renfort insuffisant. Il faut, à côté des auxiliaires nouveaux ou anciens qui vont partir, à côté des missionnaires qui vont rejoindre leur poste, que des forces fraîches soient adjointes à la petite armée qui lutte sur les bords de l’Ogooué. Ces forces fraîches, où les trouver ?

Il y a bien, à la Maison des Missions, des jeunes gens qui se tiennent aux ordres du Comité, prêts à répondre à son appel. Mais aucun d’eux n’a terminé sa prépara­tion, et l’expérience a appris combien il est grave de priver un futur serviteur de l’œuvre missionnaire de quelques-unes des armes que lui assure le cours complet de ses études théologiques et pratiques.

Dans cette situation, le Comité a résolu de s’adresser à nos Eglises et à nos Facultés de théologie. Lorsque, dans un acte de foi et d’obéissance, notre Société a accepté la charge de l’œuvre de Madagascar, elle a hau­tement déclaré qu’elle attendait avec confiance, du pro­testantisme, le surcroît d’hommes que cette œuvre nou­velle exigeait. La Maison des Missions vient de donner à Madagascar, successivement, quatre de ses élèves. Nous nous sentons donc dans la pleine vérité des choses en demandant à nos Eglises et à nos Ecoles de théologie le renfort dont le Congo a besoin. La Faculté de Montauban nous a donné Daniel Couve et Edouard Rambaud ; celle de Genève nous a donné M. Bion ; le pastorat nous a donné M. Gall, qu’une mort prématurée nous reprenait récemment.

Qui prendra dans nos stations la place laissée par M. Gall ? Quel est le jeune pasteur, l’étudiant arrivé au terme de sa préparation qui voudra apporter à nos frères du Congo l’appoint de sa force et de sa jeunesse ?

Nous déposons cet appel sur le cœur de ceux qui le liront. Puisse l’Esprit de Dieu lui-même le faire pénétrer dans les consciences et le transformer en vocations pré­cises et individuelles pour ceux sur lesquels s’arrête déjà le regard du Maître !

Quant au vide créé dans les rangs du ministère pas­toral par un semblable départ, est-il besoin de rappeler tout ce qui le compenserait ? « Les Missions, disait un jour un pasteur à une de nos consécrations, les Missions nous rendent au centuple ce que nous faisons pour elles. Ce dont nos Églises ont besoin, c’est d’obéissance et de consécration. »

M. Coillard racontait un jour son émotion en voyant les plus grands chefs d’un roi africain, sur un geste de sa part, se lever et se mettre en route avec cette simple parole : « Maître, je pars ».

Des hommes qui sachent, sur un geste du Roi, dire : « Maître, je pars », voilà ce dont l’Église a besoin.

Alfred BOEGNER
(Journal des Missions, Juin 1904)