Chronologie

La naissance

1875 : Naissance d’Albert Schweitzer

Je suis né le 14 janvier 1875, à Kaysersberg, en Haute Alsace, dans la maison à tourelle qu’on voit au haut de la ville, à gauche en sortant. Dans cette petite localité en majorité catholique, mon père était pasteur et instituteur de la petite communauté évangélique, qui a été supprimée en 1919 : la cure est devenue une gendarmerie. J’avais une sœur, mon aînée d’un an. Le nom de Kaysersberg est attaché au grand prédicateur Geiler de Kaysersberg (1445-1510) qui prêcha dans la cathédrale de Strasbourg. 

Souvenirs de mon enfance
Louis Schweitzer, père d’Albert (1889)

Louis, le père d’Albert Schweitzer

En 1875, à la naissance d’Albert, l’Alsace est allemande et fait partie du Reichsland Elsass-Lothringen : le territoire impérial d’Alsace Lorraine. Elle avait été annexée à l’Allemagne le 9 juin 1871 par le traité de Francfort signé le 10 mai 1871. Louis Schweitzer, le père d’Albert, fit le choix de rester en Alsace et devint allemand.
Louis fit ses études à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg qui était alors française. Il passe sa thèse de fin d’étude à l’Université de Strasbourg le 28 juillet 1871, soit quelques semaines après l’annexion. (Matthieu Arnold, Albert Schweitzer. Les années alsaciennes).


Issu d’une longue lignée d’instituteurs, Louis avait été pasteur et instituteur à Kaysersberg durant trois ans. Son précédent poste était celui de vicaire du pasteur Jean-Jacques Schillinger à Muhlbach, dans la vallée de Munster. C’est là qu’il rencontra sa future épouse Adèle, la fille du pasteur Jean-Jacques Schillinger, organiste, passionné de facture d’orgues comme le devint par la suite son petit fils  Albert Schweitzer. D’un caractère très affirmé, on disait de Jean-Jacques Schillinger que lorsqu’il élevait la voix à Muhlbach, on l’entendait jusqu’à Turckheim.


Louis Schweitzer resta pasteur en fonction à Gunsbach jusqu’à son décès en 1925. Pasteur très cultivé, de tendance théologique libérale, comme le fut son fils, il avait été très proche des gens et aimé par l’ensemble des habitants, catholiques et protestants de Gunsbach et Griesbach. On dit qu’il les tutoyait tous, les ayant tous baptisé, confirmé et marié.

Adèle Schillinger, la mère d’Albert Schweitzer

Adèle Schillinger, la mère d’Albert Schweitzer a été pensionnaire du Petit Château de Béblenheim. Elle a été l’élève de Jean Macé, le célèbre pédagogue, défenseur de l’accès à tous à l’éducation, apôtre du féminisme, fondateur des premières bibliothèques communales et de la Ligue Française de l’enseignement. Elle a été très bonne élève : on retrouve dans les archives du Petit Château qu’elle a été nommée 12 fois au tableau d’honneur entre les mois de mai et novembre 1856 ; elle a alors 15 ans. Dans ces archives, on retrouve plusieurs de ses rédactions qui lui ont valu ces tableaux d’honneur, avec entre autres l’une d’entre elles, tendre et malicieuse : « Le plaisir et le désagrément d’avoir un frère aîné ». En l’occurrence, ce frère aîné dont elle parle, sans le nommer, est Albert Schillinger, ce frère auquel elle a été très liée.

Albert Schillinger, qui avait été pasteur à Sainte Aurélie et Saint Nicolas à Strasbourg. On donna à Albert Schweitzer le prénom de cet oncle, décédé à l’âge de trente deux ans, qu’il n’a pas connu, mais dont on lui raconta les exploits et le courage lors de la guerre de 1870.

Ma grand-mère  était une femme fine, intelligente, au tempérament vif, à l’air quelque peu sévère. Chaque fois qu’une injustice était commise, elle prenait feu avec passion.[…] A l’époque où le malheureux Capitaine Dreyfus avait été injustement condamné en France, et où cette affaire Dreyfus avait parfois transformé les meilleurs amis en ennemis mortels, la vaillante femme du pasteur de Gunsbach écrivit dans un journal protestant un article enflammé qu’elle avait signé : « Femme, fille, sœur et mère de pasteur ».

Suzanne Oswald, la fille de Louise, sœur aînée d’Albert, décrivant sa grand-mère Adèle dans “Mon Oncle Albert Schweitzer”
Adèle Schillinger, mère d’Albert (1870)

 Né l’année d’un bon vin 

Albert Schweitzer, « fier d’être né l’année d’un bon vin et dans la ville de Geiler de Kaysersberg », avait à peine 6 mois lorsque son père fut nommé pasteur à Gunsbach en charge de la communauté protestante de Gunsbach et Griesbach, forte de près de 1200 paroissiens.

Le 7 juillet 1875, un paysan de Gunsbach, Marx Bresch, alla chercher la famille Schweitzer et tout leur mobilier à Kaysersberg avec sa charrette et son cheval. L’épouse de Marx Bresch, Anne Marie Boenlé, qui était originaire de Muhlbach, était une amie d’enfance d’Adèle. Elles avaient fait leur confirmation ensemble à Muhlbach.

A l’arrivée à Gunsbach, Marx Bresch raconta à son épouse que ce petit bébé qui était du voyage lui semblait bien fragile. Albert Schweitzer confirma par ses écrits bien plus tard :

Lors de notre arrivée à Gunsbach, j’étais un enfant très chétif. (…) Mais le lait de la vache de notre voisin Léopold et l’excellent air de Gunsbach firent des prodiges. 

Souvenirs de mon enfance

Installation dans le “Vieux presbytère”

La famille s’installa dans le « Vieux presbytère » au centre de Gunsbach dans lequel ils y restèrent jusqu’en 1890, pour se fixer ensuite dans la belle demeure léguée par Adolphe Muller à la paroisse protestante de Gunsbach appelée aujourd’hui « Ancien presbytère ». Au moment de l’installation de la famille dans l’ « Ancien presbytère », Albert Schweitzer vivait à l’époque à Mulhouse depuis l’âge de 10 ans, chez son parrain, l’oncle Louis, demi-frère de son grand père et la tante Sophie. Scolarisé à Mulhouse il ne revenait à Gunsbach que durant ses vacances.

C’est dans cet « Ancien presbytère » que Jean-Paul Sartre enfant, petit cousin d’Albert Schweitzer, venait passer ses vacances avec son grand père Charles Schweitzer, le frère de Louis. C’est là que Charles-Marie Widor vint en 1907, travailler avec Albert Schweitzer aux Editions Schirmer sur les interprétations de Bach. C’est également dans ce presbytère qu’Albert Schweitzer et Hélène Bresslau officialisèrent le 1er janvier 1912 leur relation, avant de se marier à Gunsbach le 18 juin de la même année. C’est dans cette maison qu’Adèle décéda des suites de son tragique accident le 3 juillet 1916, pendant que le village subissait des bombardements. Albert et Hélène s’y installèrent en 1921 jusqu’à leur départ pour Lambaréné, en 1924, Albert ayant été nommé vicaire de son père durant cette période.

Cet endroit restera pour Albert Schweitzer, jusqu’à la mort de son père, un véritable refuge, mais aussi un lieu d’inspiration.

Par la porte cochère, on entrait dans une cours pavée, où sous le tilleul, la fontaine vidait éternellement son tuyau, avec une constance impassible, dans une auge de grès moussue. […] La sérénité calme et paisible, l’harmonie qui régnait au presbytère se confondaient dans ce sentiment de bonheur intime, dans cette joie de vivre qui porte à aimer tout ce qui vit dans le monde, les hommes, les bêtes, les fleurs et le ciel, le ciel partout. 

Suzanne Oswald, Mon Oncle Albert Schweitzer

Au décès de Louis en 1925, le presbytère fut occupé par un nouveau pasteur, privant ainsi Albert Schweitzer qui était à Lambaréné à ce moment là, de son pied à terre à Gunsbach. Marguerite, la sœur d’Albert, restée célibataire, qui vivait avec son père dans cette maison, partit à Paris, rejoindre l’oncle Auguste, le frère aîné de Louis, dont elle devint la gouvernante, avant de revenir s’installer dans sa maison, construite par l’oncle Auguste en face de l’actuel musée à Gunsbach. Dès 1927, Albert envisagea la construction d’une maison à Gunsbach…