L’évolution de la Maison Albert Schweitzer de Gunsbach depuis sa construction
Du vivant d’Albert Schweitzer (1928-1965)
Louis Schweitzer, père d’Albert et pasteur de Gunsbach depuis 50 ans, meurt en 1925. Le presbytère n’est alors plus la demeure de la famille Schweitzer. Albert est retourné à Lambaréné depuis presque un an et y débute le chantier de son troisième hôpital. Il est à nouveau en Europe en 1927, pour une importante tournée de concerts, et reçoit le prix Goethe de la ville de Francfort en 1928, qui lui permet de financer sa maison à Gunsbach, inaugurée le 5 avril 1929.
Les plans prévoient, dès le départ, que cette maison ne sera pas un simple pied-à-terre pour les retours de voyage, mais un « quartier général » européen de l’œuvre d’Albert Schweitzer. En effet les trois niveaux de la maison se répartissent de la sorte : au rez-de-chaussée les appartements du couple Schweitzer, au premier étage les appartements, rigoureusement identiques, d’une collaboratrice, et enfin le deuxième étage sous les combles, composé de chambres pour les visiteurs de passage.
… un “quartier général” européen de l’oeuvre d’Albert Schweitzer.
De 1930 à 1971, cette collaboratrice logée sur place fut Emmy Martin (1882-1971). A l’âge de 17 ans, Emmy apprend le chant au conservatoire de Strasbourg et devient une chanteuse brillante. Elle demande à Albert Schweitzer d’être son professeur de piano. Ne prenant normalement pas d’élève, il fait une exception pour elle. Dès 1919, Emmy Martin devient une collaboratrice de l’œuvre et s’installe en 1930 dans la maison de Gunsbach, pour assurer la liaison entre l’Europe et Lambaréné. Elle prépare les concerts d’Albert Schweitzer et l’accompagne dans ses nombreux déplacements dans toute l’Europe. Elle l’aide dans sa riche correspondance, tout comme dans la sélection des candidats à un poste de l’hôpital.
Enfin, et comme aujourd’hui en quelque sorte, elle accueille les visiteurs, qu’ils séjournent ou non au deuxième étage. Ces visiteurs viennent en nombre à la Maison Schweitzer, pour s’informer sur l’œuvre, même lorsque son illustre habitant n’y est pas. En attestent les impressionnants livres d’hôtes de la maison entre 1930 et 1968 : la famille, les amis, de nombreux médecins, théologiens ou musiciens du monde entier, des professeurs de chirurgie américains, des écrivains japonais, des membres de l’Académie nationale des Lettres d’Inde, un journaliste sénégalais, le médecin d’Eisenhower…
Et plusieurs noms entrés dans la postérité : le Prix Nobel de physique Alfred Kastler, le Belge, Prix Nobel de la paix Dominique Pire, l’écrivain crétois Nikos Kazantzakis, Stefan Zweig, Antonia Brico, première femme reconnue internationalement comme cheffe d’orchestre, et une certaine « Elisabeth », venue plusieurs fois à Gunsbach mais qui ne mentionnera jamais dans le livre d’hôtes qu’elle était la Reine de Belgique…
Après le décès de Schweitzer, Emmy Martin va former, jusqu’à son propre décès, la collaboratrice qui lui succédera à Gunsbach : Alida Silver, jusqu’alors infirmière à Lambaréné.
L’ouverture du musée et la constitution des archives centrales à partir de 1967
Alida, ou Ali Silver (1914-1987), est une infirmière néerlandaise formée en pédiatrie et en psychiatrie. Elle est socialement très engagée, notamment auprès des enfants et des blessés de guerre, déjà bien avant d’arriver à Lambaréné en octobre 1947. Elle consacre 20 ans à l’hôpital Albert Schweitzer, puis 20 ans à la Maison Schweitzer de Gunsbach, après avoir ouvert le musée et les archives centrales internationales en 1967.
Elle et sa collègue, Tony van Leer qui fut également infirmière à Lambaréné, accueillent tous les ans des milliers de visiteurs et continuent de collecter archives et collections jusqu’en 1987. Puis c’est au tour de Sonja Muller-Poteau (1929-), sage-femme à Lambaréné de 1954 à 1959 et de son époux Robert (1925-2020), ingénieur en mécanique également au service de l’hôpital, de reprendre le flambeau de Gunsbach, bénévolement de 1989 à 2009.
Depuis 1967, les archives ont progressivement rempli la maison : 80 000 lettres, 35 000 photos, 20 000 livres, 900 partitions, 250 médailles et distinctions, 180 vidéos, 120 vinyles et plusieurs centaines d’objets d’art et d’artisanat gabonais… La maison est physiquement « chargée », ne laissant que peu de place à la partie muséale ou aux activités associatives, et nécessitant des modifications dans les appartements de Schweitzer pour créer bureau, archives, accueil et boutique.
Mais elle est encore plus chargée d’émotions, et les visiteurs apprécient d’être reçus « comme à la maison » par ces personnes ayant côtoyé le Grand Docteur, qui fourmillent d’anecdotes et de connaissances qu’ils transmettent avec une passion intacte dans leur regard et leur voix. Les visiteurs peuvent voir la collection d’objets gabonais dans une salle gracieusement mise à disposition par la mairie de Gunsbach, l’association organise ses réunions à l’Ancien Presbytère, transformé en gîte et tables d’hôtes par Robert Poteau. Des dizaines de chercheurs, écrivains, journalistes du monde entier sont accueillis chaque année dans les archives. Nous avons constaté ces dernières années un intérêt accru pour l’œuvre de Schweitzer, notamment parmi les chercheurs africains, russes ou chinois.
La restauration et l’extension de la Maison (2014-2020)
Presque un siècle après la construction de la maison et cinquante ans après l’ouverture du musée, l’association est heureuse de pouvoir être confrontée à de nouveaux défis. Bien sûr il y a la nécessité d’entretenir le bâtiment et son contenu : le système électrique d’origine est devenu dangereux pour la sécurité des personnes et des biens, l’absence d’isolation des combles, outre les pertes énergétiques, fait aussi varier les températures dans les espaces de conservation des archives et des collections. Le manque grandissant de place compromet l’évolution des activités de l’association, surtout que les autres lieux à sa disposition dans Gunsbach sont amenés à ne plus l’être, ou de moins en moins : L’Ancien Presbytère, tant mieux, est souvent complet de par l’augmentation de la clientèle touristique. La commune souhaite à moyen terme récupérer la salle qu’elle met à disposition pour le « musée africain », qui nous permet d’accueillir les groupes, et de stocker cette collection de plus de cinq-cents objets, auxquels il va falloir trouver un nouvel espace également.
A cela s’ajoute l’obligation exigée par l’Etat, de rendre les lieux publics accessibles aux personnes en situation de handicap, ce qui ne peut se faire par une simple rampe d’accès, étant donné la proximité de la maison à la route. Sans aucun changement des espaces disponibles pour l’accueil du public, la loi interdit de recevoir plus de huit personnes à la fois dans la maison, ce qui rend impossible la venue de groupes, autocaristes ou scolaires. Des travaux s’imposent.
La première rencontre avec Michel Spitz, architecte, remonte ainsi à mars 2014. Les discussions mènent assez rapidement à un projet global de restauration et d’extension qui permettrait non seulement de respecter les normes d’accueil du public, mais également de multiplier les activités de diffusion du « respect de la vie », mission principale de l’AISL, inscrite dans les statuts par Albert Schweitzer.
Bien-sûr se pose aussi la délicate question, au cours de ces discussions, de la conservation d’un patrimoine, du respect du lieu et de son environnement. Pas tellement de discussions sur le bien-fondé du projet en tant que tel, mais plutôt sur la forme qu’il allait prendre, entre obligations légales, pérennité des activités de l’association, en d’autres termes la poursuite de ses buts spirituels, et conservation de biens matériels.
La conception du projet aboutit, fin 2016, à un permis de construire. Durant cette période, l’association entame aussi une recherche de fonds permettant la réalisation des travaux. Au printemps 2017, l’Assemblée Générale de l’AISL donne son accord et les travaux commencent en septembre 2017.
C’est ainsi qu’après presque trois ans de travaux, environ vingt mois de fermeture du musée et une pandémie de Covid-19, les visiteurs peuvent à nouveau pousser la porte de la maison du Grand Docteur.
Le rez-de-chaussée, où se trouvent les appartements des Schweitzer, a été restauré. Précisons qu’une restauration, c’est-à-dire un retour à l’état d’origine, est l’inverse d’une modernisation. A part les mises aux normes et quelques éléments discrets de muséographie, les pièces où vécut Schweitzer ont été réaménagées autant que possible selon les photos datant de son vivant. Le musée dans sa partie « maison » dispose maintenant de six pièces qui retracent le parcours de son illustre habitant, de l’enfance à la notoriété. La cave de la maison a aussi été transformée en musée. Le visiteur y découvre le volet africain de la vie de Schweitzer : son hôpital de Lambaréné, ses voyages, au travers de nombreux objets et documents si précieusement conservés dans les archives depuis 1967, et qui ne demandaient qu’à être présentés aux visiteurs !
A côté de la maison réservée à l’histoire et aux nombreuses facettes du personnage, le nouveau bâtiment est composé d’une partie en rez-de-jardin entièrement vitrée pour être discrète dans le paysage vue de l’extérieur et ouverte sur le paysage vue de l’intérieur. Elle réunit l’accueil et la boutique, ce qui a permis de libérer la maison historique de ces fonctions. La plus grande partie est enterrée et donc encore plus discrète
Elle présente l’éthique du « Respect de la Vie », éthique élaborée en 1915 mais d’une actualité pourtant sidérante. Dans cette partie du musée, le visiteur est amené à se retrouver avec lui-même et à vivre un moment d’introspection, une espèce de parcours initiatique. Quelques citations à lire, des gens à écouter, des images pour rêver, des objets mystérieux parlant d’une culture lointaine et pourtant si proche… Du respect de soi au respect de toutes les formes de vie, l’objectif est de faire ressentir en quelques instants ce qu’Albert Schweitzer appelait un « élargissement progressif du cercle de la morale », et qui fut chez lui le fruit d’une longue réflexion philosophique et éthique.
Du respect de soi au respect de toutes les formes de vie, l’objectif est de faire ressentir en quelques instants ce qu’Albert Schweitzer appelait un « élargissement progressif du cercle de la morale », et qui fut chez lui le fruit d’une longue réflexion philosophique et éthique.